Le trouble développemental du langage (TDL), qui englobe des difficultés autrefois parfois désignées sous le terme de dysphasie, affecte la capacité des enfants à acquérir et à utiliser le langage oral. Ces troubles, qui sont des troubles développementaux du langage selon la définition consensuelle du consortium CATALISE, peuvent avoir un impact significatif sur la vie quotidienne de l’enfant, y compris les interactions sociales et les apprentissages scolaires.
Les enfants présentant un TDL montrent souvent des difficultés à élaborer un discours suffisamment informatif et nécessaire à la compréhension de leur interlocuteur. Ces défis se manifestent sur les plans syntaxique, pragmatique et discursif. Par exemple, ils peuvent utiliser exclusivement des énoncés simples, avoir une maîtrise limitée des chaînes anaphoriques (De Weck, 2004), ou encore présenter un déficit syntaxique significatif affectant l’utilisation des propositions subordonnées. Leurs énoncés peuvent être plus courts, moins complexes et moins informatifs comparés à ceux de leurs pairs.
Face à ces défis, la clinique orthophonique cherche des méthodologies d’intervention efficaces. Une perspective théorique particulièrement pertinente pour comprendre l’acquisition du langage et guider l’intervention est l’approche socio-interactionniste. Dans ce cadre, le langage est vu comme une fonction à la fois biologique et sociale, dont le développement est soutenu par les interactions avec l’entourage.
L’Étayage Langagier en Orthophonie
L’intervention orthophonique peut s’appuyer sur l’étayage langagier proposé par l’adulte, ajusté à la zone proximale de développement de l’enfant. L’étayage linguistique, en particulier, vise à aider l’enfant à s’approprier les formes de la langue. Les reprises, les reformulations et les répétitions sont différentes formes d’étayage linguistique.
La méthodologie d’intervention que nous explorons est l’utilisation d’un étayage en contraste, ou étayage langagier contrastant. Cette approche s’inspire du principe de contraste, défini comme un principe pragmatique. Il repose sur des reprises contrastantes ou enrichies des énoncés de l’enfant dans de nouvelles séquences. L’étayage contrastant consiste en une reprise partielle de l’énoncé de l’enfant que l’orthophoniste transpose dans une nouvelle séquence narrative, avec une signification différente de l’énoncé initial. Son objectif n’est pas correctif au sens normatif, mais vise à rendre l’enfant sensible aux indices proposés.
Une Méthodologie d’Intervention Innovante : Co-narration et Étayage Contrastant
La recherche présentée dans la source expérimente une méthodologie d’intervention orthophonique spécifique, articulée autour d’une activité de co-narration entre l’enfant et l’adulte, soutenue par un jeu symbolique. La narration est considérée comme une forme de discours naturelle et représentative de la communication spontanée.
L’activité de rééducation, conçue pour un enfant présentant un trouble développemental du langage, implique l’utilisation de matériel et alterne des situations avec et sans cache. L’orthophoniste et l’enfant participent à la co-narration, créant ainsi une situation de « récits polygérés » au sein desquels les voix des participants se mêlent. Le recours à l’écriture sous dictée est également utilisé pour permettre un retour sur les énoncés et encourager la production d’énoncés plus indépendants du contexte oral.
L’étayage contrastant est spécifiquement appliqué dans cette activité. Par exemple, l’orthophoniste peut reprendre un constituant de l’énoncé de l’enfant (une hétéroreprise partielle) et l’intégrer dans un nouvel énoncé, souvent avec un niveau de complexité syntaxique supérieur.

Résultats de notre recherche
Les résultats de cette étude de cas, bien que sur un échantillon réduit, mettent en lumière plusieurs aspects importants :
- L’influence du contexte : Les paramètres contextuels de l’activité, comme la présence ou l’absence du cache, influencent directement la participation verbale de l’enfant. L’usage des déictiques est fortement impacté par la situation. En contexte sans cache, où les références spatiales et matérielles sont accessibles et partagées, les déictiques démonstratifs sont utilisés plus fréquemment, notamment dans les discours descriptifs et justificatifs. La levée du cache favorise l’initiative verbale de l’enfant (79% des cas), qui produit alors majoritairement des justifications spontanées (91%).
- L’efficacité de l’étayage contrastant : L’étayage contrastant, basé sur des reprises (morphologiques, morphosyntaxiques, lexicales), permet à l’orthophoniste d’adapter ses propositions en fonction de la conventionnalité des énoncés de l’enfant. Il favorise l’émergence de capacités métalinguistiques. Le fait de transcrire littéralement l’énoncé non conventionnel de l’enfant à l’écrit, puis de le revoir, peut également permettre à l’enfant de rectifier la forme.
- La participation de l’enfant : L’enfant occupe l’espace discursif laissé par l’adulte. Les réactions de l’enfant à l’étayage apparaissent essentielles dans le sens où elles contribuent à l’installation d’une relation de nature collaborative. Reprendre une partie de l’étayage est une façon pour l’enfant de s’approprier l’étayage linguistique.
Ces ajustements pragmatiques de l’orthophoniste, qu’ils soient contrastifs ou enrichissants, soutiennent le développement syntaxique et discursif et l’émergence des compétences métalinguistiques. L’intégration de paramètres contextuels variés stimule l’engagement discursif de l’enfant et son adaptation aux différentes situations d’énonciation. L’activité de co-narration avec un soutien matériel et l’utilisation de l’écrit jouent un rôle de médiation pour l’enfant.
Bien que cette étude se soit concentrée sur l’analyse des productions d’un seul patient présentant un trouble développemental du langage, elle ouvre des perspectives prometteuses. De futures recherches pourraient étendre cette méthodologie à un échantillon plus large et plus important et explorer son impact sur d’autres types de discours, notamment explicatifs, ainsi qu’analyser plus finement les interactions verbales et non verbales. L’analyse des réactions non verbales de l’enfant, en particulier lors de l’étape de levée du cache, constituerait un enrichissement méthodologique.

En conclusion …
Cette recherche souligne l’importance d’une approche interactionnelle structurée et de l’étayage contrastant pour soutenir le développement du langage oral et des capacités de communication orale chez les enfants présentant un TDL (ou trouble développemental du langage / anciennement dysphasie).
Source :
Marzouk, N. (2025). Activité de langage et étayage langagier contrastant : une co-construction entre l’enfant et l’adulte [Mémoire de Master 2]. Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.